La deuxième et principale raison qui m'incite à haïr les feux rouges tient au fait qu'à chaque fois que je m'arrêtes surgissent derrière ma vitre des créatures invraisemblables : vendeurs de journaux, vendeurs de pansements adhésifs, des dames vertueuses avec des boîtes en métal pendues à leur poitrine qui vous collent autoritairement sur le coeur le crabe du Cancer, les gros balèzes de la Ligue pour les aveugles dans le sillage d'un haut-parleur sur le toit d'un tas de ferraille flambant neuf, le citoyen digne à qui on a volé son porte-monnaie et qui a besoin d'acheter son billet de train pour Porto, le tuberculeux avec son certificat à l'appui, toute la caste des infirmes (micocréphales, macrocéphales, boiteux, bossus, bras étiques, mains avec six doigts, mains sans un doigt, mongoliens, dirigeants de partis politiques, etc.), sans compter l'escouade des pompiers volontaires qui ont besoin d'une ambulance, les lauréats de l'Université de Combra, en cape et soutane, qui ont décidé de faire un voyage de fin d'études en Birmanie et les jeunes toxicos qui n'ont pas réussi à voler un seul lecteur de cassettes ce jour-là.
Résultat : au premier feu rouge je n'ai déjà plus de monnaie. Au deuxième je me retrouve sans veste. Au troisième sans chaussure. Au cinquième tout nu. Au sixième je donne ma Volkswagen. Au septième j'attends que le feu passe au rouge pour assaillir à mon tour, mêlé à la multitude de pompiers, étudiants, drogués et microcéphales, le premier véhicule qui s'arrête. En moyenne je change cinq fois de vêtements et de voiture avant d'atteindre ma destination, et quand j'arrive, au volant d'un camion TIR, flottant dans un pantalon gigantesque, mes amis se plaignent que je ne suis pas ponctuel.!
Auteur : Antonio Lobo Antunes - le livre des chroniques Photo : Eiline
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