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mardi 27 mai 2008

De l'esprit de Lourdeur - Nietzsche

...En vérité, apprendre à s'aimer, ce n'est point là un commandement pour aujourd'hui et pour demain. C'est au contraire de tous les arts le plus subtil, le plus rusé, le dernier et le plus patient...
A peine sommes-nous au berceau, qu'on nous dote déjà de lourdes paroles et de lourdes valeurs : "bien" et "mal",
c'est ainsi que s'appelle ce patrimoine. C'est à cause de ces valeurs qu'on nous pardonne de vivre.
Et c'est pour leur défendre à temps de s'aimer eux-mêmes, qu'on laisse venir à soi les petits enfants : voilà l'ouvrage de l'esprit de lourdeur.
Et nous, nous traînons fidèlement ce dont on nous charge, sur de fortes épaules et par-dessus d'arides montagnes ! Et si nous nous plaignons de la chaleur on nous dit : "Oui, la vie est lourde à porter !"
Mais ce n'est que l'homme lui-même qui est lourd à porter ! Car il traîne avec lui, sur ses épaules, trop de choses étrangères.

Pareil au chameau, il s'agenouille et se laisse bien charger.
Surtout l'homme vigoureux et patient, plein de vénération : il charge sur ses épaules trop de paroles et de valeurs étrangères et lourdes, — alors la vie lui semble un désert !

...En vérité, mois aussi, j'ai appris à attendre, à attendre longtemps, mais à m'attendre, moi. Et j'ai surtout appris à me tenir debout, à marcher, à courir, à sauter, à grimper et à danser.
Car ceci est ma doctrine : qui veut apprendre à voler un jour doit d'abord apprendre à se tenir debout, à marcher, à courir, à sauter, à grimper et à danser : on n'apprend pas à voler du premier coup !
Avec des échelles de corde j'ai appris à escalader plus d'une fenêtre, avec des jambes agiles j'ai grimpé sur de hauts mâts : être assis sur des hauts mâts de la connaissance, quelle félicité ! — flamber sur de hauts mâts comme de petites flammes : une petite lumière seulement, mais pourtant une grande consolation pour les vaisseaux échoués et les naufragés ! —
Je suis arrivé à ma vérité par bien des chemins et de bien des manières : je ne suis pas monté par une seule échelle à la hauteur d'où mon oeil regarde dans le lointain.
Et c'est toujours à contrecoeur que j'ai demandé mon chemin, — cela me fut toujours contraire ! J'ai toujours préféré interroger et essayer les chemins eux-mêmes.
Essayer et interroger, ce fut là toute ma façon de marcher : — et, en vérité, il faut aussi apprendre à répondre à de pareilles questions ! Car ceci est — de mon goût : — ce n'est ni un bon, ni un mauvais goût, mais c'est mon goût, dont je n'ai ni à être honteux ni à me cacher.
"Cela — est maintenant mon chemin, — où est le vôtre ?"
Voilà ce que je répondais à ceux qui me demandaient "le chemin". Car le chemin — le chemin n'existe pas.

Ainsi parlait Zarathoustra. De l'esprit de lourdeur
Friedrich Nietzsche

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